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-  O S T E N S O I R S  /  R I T U E L S -                                                                                          

 

 

           Je travaille sur le rituel en tant que codification organisatrice et structurelle de l’œuvre, tant au niveau du processus instaurateur qu’au niveau de la forme plastique du dispositif. Ce rituel organisateur de l’œuvre marque ce que nomme Henry Maldiney : « l’émergence de l’être à partir du chaos comme béance » [1]. Il s ‘agit d’une organisation dans un espace intérieur donné par rapport à un autre espace qui lui est extérieur. Sans pour autant qu’il y ait prépondérance d’un espace sur l’autre, mais complémentarité de l’un à désigner l’autre, de l’autre à désigner l’un dans un "en dedans – en dehors" dans le sens où l’utilise Gaston Bachelard. Le rituel, lorsqu’il est secret, intime, se passe à l’intérieur, mais il peut aussi être à l’extérieur. Dans ce cas il devient profane (pro/en avant, et fanum/temple) ou encore, proergon (pro/en avant, et ergon/l’œuvre). Le rituel sacralise dans l’œuvre, ou devant l’œuvre. Il transforme et transcende l’objet du sacrifice. Lorsque le feu intervient dans le sacrifice la transformation est double : « Si tout ce qui change lentement s’explique par la vie, tout ce qui change vite s’explique par le feu. Le feu est l’ultra vivant. » [2] Gaston Bachelard. Le feu, c’est l’élément vital et mythologique, le feu implique la purification, la transformation d’une matière en une autre mais aussi la destruction.

 

           Les ostensoirs montrent traditionnellement en leur centre l’objet du sacrifice (normalement l’hostie). Dans mes "Ostensoirs" j’opère une transposition en utilisant des feuillets de poésies calcinés, des fragments/indices de corps. Il s’agit de désigner ostensiblement ce qui est au centre et en même temps d’éloigner par des marges successives. Le verre permet la lisibilité du texte sur les feuillets calcinés et en même temps il enferme et protège d’une profanation (l’ensemble est scellé). Il s’agit de montrer dans ces "Ostensoirs" d’un nouveau genre ce qui a été détruit (sacrifié) pour être offert symboliquement au regard des spectateurs. La destruction des poèmes choisis par l’artiste doit être considérée comme une "Vanitas" [3] par extension du genre. Dans le sens où, normalement, les vanités sont des natures mortes dans lesquelles des objets représentatifs des richesses de la nature humaine et des activités humaines sont juxtaposés à des éléments évocateurs du triomphe de la mort.  Il y a transmutation voire même "transsubstantiation". Les poésies, les indices de corps deviennent cendres, évocation même du triomphe de la mort dans lequel tout corps de chair devient poussière. Nés d’une organisation particulière de la matière, nous redevenons matière en devenir d’une autre organisation. L’idée est bien de donner à voir et à penser sa propre finitude afin de donner corps à un échange symbolique évoquant les rituels des primitifs, afin de rompre la barrière entre l’homme et la nature, entre le corps et la matière, entre la vie et le mort.

 

        L’organisation des "Ostensoirs" fait participer le vide à l’espace de présentation de l’œuvre. C’est un champ de prégnance immatériel qui fait partie de l’effet de présence de l’œuvre. En présentant le carré en losange, les dimensions sont données par les diagonales, ce qui suggère une superficie plus grande que celle du carré de départ, qui fait transition entre la peinture et l’espace d’exposition. Le vide autour des "Ostensoirs"  constitue un "parergon" autour de l’œuvre , cf. : « Un "parergon", vient contre, à côté et en plus de l’ergon[4], du travail fait, du fait de l’œuvre mais il ne tombe pas à côté, il touche et coopère, depuis un certain dehors, au-dedans de l’opération » [5] Jacques Derrida. Dans ce sens, les marges successives de plomb, de peinture, de paraffine sont autant de "parergon"  autour des feuillets de poèmes calcinés.

 

        L’œuvre elle-même n’est qu’un "parergon"  par rapport au rituel qui a lieu à un moment donné dans un lieu donné. Ce texte est un "parergon"  de plus… Mes œuvres s’offrent au spectateur, elles sont réceptacles, lieux d’accueil, comme les porte-empreintes des indices des rituels. Elles sont l’objet des regards, elles les reçoivent et s’effacent, renvoyant au rituel dont elles portent les traces et à une  "rêverie" au sujet de ce rituel. Voilà en filigrane le concept même de "khôra" [6] défini par Platon dans le Timée et commenté par Jacques Derrida [7] auquel les "Ostensoirs" font écho. Chaque œuvre est une "matière à être", ici et maintenant…

 

 

 

                                                                                                                                       Albert  BERGERET

 

 

 

 

 

 

[1] Henry Maldiney, L’art, l’éclaire de l’être, Comp’Act, coll. Scalène, Paris, 1993, p. 189.

[2] Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, coll. Folio Essais, Paris, 1949, p. 23.

[3] « Vanité »

[4] « l’œuvre »

[5] Jacques Derrida, La Vérité en peinture, Champs Flammarion, Paris, 1978, p. 63. (Commentaire sur la troisième critique d’E. Kant à propos du concept grec d’ergon (d’œuvre) et de parergon (ce qui est hors de l’œuvre).

[6] Platon, Timée, (traduction de Luc Brisson) GF Flammarion, Paris, 1999, p. 149.

[7] Jacques Derrida, Khôra, Galilée, Paris, 1993.

 

 

 

 

 

 

 

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- Rupture ontologique et promotion d’être dans l’art contemporain -

 

 Conférence à la Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine

 - 25/09/2013 -

 

Contribution au thème de recherche :

« Transformation de soi, dynamiques sociales et constructions identitaires » 

 

 

                 L’objet de ma contribution au thème de recherche « Transformation de soi, dynamiques sociales et constructions identitaires » vise à établir l’apport des arts plastiques dans la transformation des individus comme dans leur construction identitaire dans une société et une culture donnée, afin d’en déduire des principes généraux transposables dans l’étude des dynamiques sociales. 

          Les artistes, étant des expérimentateurs à la pointe de la construction identitaire d’une société et d’une façon élargie d’une culture, nous offrent un objet d’étude privilégié sans cesse en mouvement dans une construction identitaire à trois niveaux d’interprétation. 

         Tout d’abord au niveau des artistes eux-mêmes et de leur propre construction identitaire, mais aussi des individus qui sont (parfois) les sujets de leurs oeuvres, puis au niveau de la société qui les célèbre. 

Mon étude de cas porte en particulier sur le travail de Joseph Beuys, de Louise Bourgeois et des oeuvres d’ORLAN, puis sur les portraits photographiques de Rineke Dijkstra et de Valérie Belin. 

         Dans un premier temps, il est indispensable d’établir dans quelle mesure les oeuvres de ces artistes témoignent d’une « transformation de soi » révélatrice, d’une rupture ontique qui peut apparaître comme une discontinuité à l’instar d’un passage d’une épistémè à une autre. Nous examinerons quels sont les effets plastiques produits et quelles sont leurs correspondances avec des états psychiques en se basant sur les écrits et les oeuvres des artistes Joseph Beuys et Louise Bourgeois. Nous analyserons la place du rituel dans cette rupture ontologique puis cette promotion d’être et nous montrerons en quoi ces étapes de la construction identitaire relèvent d’une pensée de la continuité. 

        Dans un deuxième temps, je fonderai mon analyse sur la réflexion que propose le travail photographique de Rineke Dijkstra sur les adolescents et les situations particulières où l’individu est soit en pleine construction, soit en cours de mutation identitaire. Les portraits photographiques de Rineke Dijkstra proposant des adolescents ou des adultes dans une situation liminaire et éphémère qui marque un changement de statut identitaire. L’analyse de cet instant ou moment liminaire de transformation de soi doit être envisagée dans une pensée de l’être dans une continuité en perpétuelle mouvance. Cette mouvance identitaire peut, dans notre société contemporaine, se diriger vers des stéréotypes culturels ou des modèles éphémères véhiculés par les médias. La construction identitaire peut a contrario s’émanciper de ces stéréotypes pour les critiquer comme le montre le travail d’ORLAN afin de participer à l’évolution de la condition féminine. 

        Comme le soulignait Pierre Francastel, l’artiste n’est pas comme un sismographe de la société. Il y participe activement et agit sur elle, l’alimentant d’idées neuves, en contribuant à leur évolution et à leur diffusion. 

Dans un troisième temps, nous étendrons notre analyse au niveau sociétal, nous examinerons combien Joseph Beuys s’est avéré éminemment nécessaire à l’Allemagne pour expier son sentiment de culpabilité après la seconde guerre mondiale. Ce qu’a célébré l’Europe en Joseph Beuys dépasse l’analyse de son positionnement artistique car il oeuvre par l’art, à une « sculpture sociale ». L’éclairage particulier donné par l’analyse aux oeuvres de Rineke Dijktsra et de Valérie Belin nous amènera à envisager les mutations identitaires comme autant d’indices de nouvelles mutations sociales. 

        L’analyse des oeuvres artistiques nous permettra de montrer les apports d’une démarche plastique dans un processus de construction identitaire au sein des dynamiques sociales contemporaines. Elle nous aidera à révéler le mécanisme d’une pensée opérant dans une nécessaire mouvance propre à toute quête identitaire et en totale opposition à une pensée de la discontinuité qui prédomine dans l’opinion commune. Pour cette dernière, les groupes sociaux seraient immuables dans une société figée sur des traditions et une culture ancestrale qui lui sert de mythe. La pensée de la discontinuité est la pensée qui génère le statisme, la discrimination, l’exclusion, les ghettos. Elle est contraire à ce qui fonde notre humanité. L’analyse montrera à quel point l’héritage de la pensée occidentale de la discontinuité empêche notre société en ce début de XXIème siècle de se penser réellement (malgré les efforts actuels) dans une continuité en mouvement, en constante métamorphose. 

        Notre analyse fera référence à des outils variés comme ceux de la philosophie, de la psychanalyse, de la psychologie, de l’anthropologie et de la sociologie. 

                                                     

                                                                                                                                         Albert BERGERET 

 

 

Télécharger le texte sur le site de la MSHA - Université de Bordeaux 3:

http://www.msha.fr/msha/recherche2011-2015/transformation/albert_bergeret/rupture_ontologique.pdf

 

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