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    Albert BERGERET

 

    " RITUELS D’IGNITION "

 

    Exposition du 10 novembre 2014 au 5 janvier 2015

    à la "VILLA DOUCE", REIMS

 

    Siège de L’Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA) 

                  

     

 

 

          La thématique de l’exposition est centrée sur la poésie et la musique des bruits. La poésie intervient dans les rituels d’ignition sous forme de feuillets de poésies calcinés, la musique par l’évocation de sons suggérés par les images et la diffusion de sons/bruits par certaines œuvres, une installation  et la vidéoprojection d’un film.

 

  Le titre de l’exposition convoque un lourd cortège de connotations qui prend sa source dans l’étymologie :

 Le mot ignition vient du latin ignis, (feu), il désigne l’état des corps en combustion vive.

    Le mot rituel, vient du latin ritualis, rite, il désigne ce qui est conforme aux rites. Les rites et les rituels ont pour fonction d’établir une communication entre les hommes et les dieux, ce qui sous-entend qu'il y a au moins un écart qui nécessite l'établissement d'un lien entre l'émetteur et le récepteur, ou le rétablissement d'un lien naturel (autrefois), mais aujourd'hui perdu.

 

    Le rituel prend aussi le sens «d'acte culturel »[1]. Les Grecs voyaient dans le rite une «conduite définie par l'usage, conforme à la tradition »[2]. Ainsi accomplir un rite, c'est s'inscrire dans une lignée en affirmant son appartenance à une communauté ou à un groupe organisé.

    Pour les Grecs, trois actions désignent les différentes espèces de rites: sphattein ou entemnein, ce qui signifie égorger avec la pointe ou avec le tranchant d'un couteau. La seconde action est : anateînai, placer, déposer en offrande. La troisième action est : holocautein, brûler entièrement[3].

 

    Mettre en œuvre des rituels d’ignition aujourd’hui, dans l’art contemporain implique de convoquer ce long cortège conceptuel tout en le renouvelant, à la lumière des préoccupations contemporaines et de notre être au monde, mais sans dieu à invoquer.

 

    Les poésies calcinées sont des autodafés, des actes de foi, non contre les textes calcinés mais pour propager les pensées qu’ils renferment. Les poésies ou les textes immolés sont métaphore d’une renaissance, dans la fulgurance de leur ignition, puis par la concrétude des cendres, d’une pensée et au final, parce qu’elles fécondent l’esprit du regardeur. Il s’agit là d’une métaphore qui "fait œuvre" par les indices qu’elle offre au spectateur au regard et à la pensée.

 

    Selon Bachelard, l’acte dramatique lié au feu c’est la fin tragique d’Empédocle. Empédocle, philosophe d’Agrigente du Vème siècle avant J.C. mourut en se jetant dans l’Etna, qui l’engloutit, ne rejetant qu’une de ses sandales. Le philosophe «est libre quand il se jette dans la mort »[4]. L’acte est transcendé par l’image dans la philosophie implicite d’Empédocle qui élabora la théorie des quatre éléments. La fusion totale de l’être avec le feu, la terre, l’eau et l’air semble être la finalité absolue d’Empédocle qui, au sommet du volcan en éruption, trouve un retour à une totalité absolue par l’accomplissement de son acte ultime.

   La mort tragique d’Empédocle met en avant la puissance révélatrice de l’acte fondé sur une conviction profonde. L’acte marquant entre tous : l’autodestruction, le suicide, même s’il  laisse une trace dérisoire : une sandale[5].

   La calcination des poèmes, répétée d’exposition en exposition dans mes recherches plastiques, appartient à cette nécessité de provoquer une réflexion par la prise en compte d’actes volontaires qui ont pour objet apparemment de détruire ce sur quoi on veut faire réfléchir. Ce sont des "poésies immolées" ou en quelque sorte, dans le sens d’Antonin Artaud, des "poésies suicidées"[6].

 

  La calcination est un acte de destruction qui dans la distanciation de sa mise en œuvre est un acte de vie visant à atteindre le spectateur. Cette apparente contradiction, nous la retrouvons dans le mythe de l’oiseau Phénix où le feu est mort puis renaissance. Le phénix est un oiseau mythique :

 

     « […] d’une splendeur sans égale, doué d’une extraordinaire longévité et qui a le pouvoir après s’être consumé sur un bûcher, de renaître de ses cendres. Quand l’heure de sa mort approche, il se construit un nid de brindilles parfumées où de sa propre chaleur il se consume. »[7]

 

    Il s’enflamme de ses propres feux et renaît de ses propres cendres. Il est le symbole de la résurrection et de l’immortalité dans un cycle récurrent et immuable. Dans les œuvres qui seront exposées, la problématique de la calcination est liée à la renaissance par le rituel de calcination de ce qui est détruit.

 

    « Si tout ce qui change lentement s’explique par la vie, tout ce qui change vite s’explique par le feu. Le feu est l’ultra-vivant. »[8]

Gaston Bachelard

 

    L’image poétique empédocléenne tout comme les indices du passage à l’acte dans les œuvres sont porteurs d’une ouverture à être chez le spectateur par la transposition, la distanciation artistique. Là, nous pouvons parler d’un éveil, d’une promotion d’être possible pour le spectateur à l’épreuve de l’œuvre.

 

    Les œuvres proposées sont des vanités contemporaines qui nous font réfléchir sur la légèreté de l’être, sur nos négligences, notre inconstance.

 

    Mourir et détruire sans cesse pour renaître et reconstruire est ce qui nous fonde.

Dans les œuvres exposées la pensée devient matière au même titre que dans les vanitas du 18ème siècle, la pensée s’est faite  image. 

    Comme le souligne Robert Smithson :

 

  « L’esprit humain et la terre sont notamment en voie d’érosion ; des rivières mentales emportent des berges abstraites, les ondes du cerveau ébranlent des falaises de pensée, les idées se délitent en bloc d’ignorance et les cristallisations conceptuelles éclatent en dépôts de raison graveleuse. »[9]

 

   Après le hall, le salon de musique de la Villa Douce est le lieu d’une présentation d’œuvres qui suggèrent des sons, grâce au triple autoportrait, par des images muettes, mais aussi par des œuvres et des matières produisant des sons/bruits, le tout associé à une vidéoprojection audio-visuelle.[10]

 

  Le son/bruit est l’évocation du monde concret, de la rencontre fortuite avec la nature, avec ses cycles et son entropie. Le son/bruit est à l’image de la rencontre lors de notre cheminement personnel avec les matières et les choses (à travers l’œuvre),  évocation des éléments primordiaux, de l’absurdité et du hasard dans leur rencontre avec l’être. Comme le dit Albert Camus : 

 

   « Je tire ainsi de l’absurde trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté et ma passion. Par le seul jeu de la conscience, je transforme en règle de vie ce qui était invitation à la mort et je refuse le suicide. »[11]

 

   L’art pose en effet définitivement la question de l’être comme le soulignait  Martin Heidegger :

 

  « La méditation sur ce qu’est l’art est entièrement et décisivement déterminée par la seule question de l’être.»[12]

 

 

 

 

[1] - Anne-Marie Blondeau et Kristopher Schipper, Essais sur le rituel, Volume I, Colloque et de la section des Sciences religieuses de l’école pratique des hautes études, Louvain - Paris, éd. Peeters, chap. I de Jean Rudhardt, 1988, p. 2.

[2] - Ibid., p. 2.

[3] - Ibid., p. 3.

[4] - Gaston Bachelard, Fragments d’une Poétique du Feu, Paris, éd. PUF, 1988, p. 139.

[5] - La sandale qui resta sur le bord du cratère dans lequel se jeta Empédocle.

[6] - Antonin Artaud, Van Gogh le suicidé de la société, Paris, éd. K éditeur, 1947.

[7] - Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, éd. R. Laffont/  Jupiter, 1982, p. 747.

[8] - Gaston Bachelard, La psychanalyse du feu, Paris, éd. Gallimard, 1949, p. 23.

[9] - Robert Smithson, « A Sedimentation of the Mind : Earth Projects », in  Artforum, septembre 1968. Reproduit in The Writings of Robert Smithson, pp. 82-91 et cité pour la trad. française dans Robert Smithson, Le paysage entropique, 1960-73, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1994, p. 192.

[10]  - Albert Camus, Le mythe de Sisyphe (la liberté absurde), Paris, éd. Folio / Essai Gallimard, 1942,

        pp. 90-91.

[11]  - Martin Heidegger,  L’origine de l’œuvre d’art, Paris, éd. Gallimard, 1962, p. 67.

 

 

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